Trésor d’Afrique

« Ce n’est pas du tout ce que vous croyez. Cet homme aux cheveux grisonnants, la cinquantaine assumée. Ce bel homme aux yeux bleus, encore si séduisant, svelte, le port de tête altier, la silhouette sportive. Cet homme que les rides rendent plus mystérieux, plus fascinant encore que lors de ses jeunes années. Cet homme marié depuis trente ans avec la même femme, père de deux filles en âge de voler de leurs propres ailes. Cet homme qui jusqu’alors, a toujours été droit, responsable, loyal. Cet homme qui n’a jamais trompé son épouse, malgré les tentations, les crises, les moments difficiles auxquels aucun couple n’échappe. Cet homme qui voit s’approcher avec appréhension l’année de la retraite. Qui se sent vieillir, qui voudrait inverser le temps. Cet homme qui tient la main d’une jeune femme de 25 ans.

Une belle femme noire, magnifique, assise face à lui à la terrasse de ce café parisien. Une bombe à la peau ébène, sourire éclatant, poitrine généreuse. Une jeune femme qui le regarde intensément, lui parle avec passion, les yeux brillants. Qui rit de ses blagues, goûte son whisky, fait la grimace, toussote, le fait rire, l’émeut. Cet homme qui lui caresse la joue, lui dit qu’elle est belle. Que le jour où il l’a rencontrée a bouleversé sa vie. Qu’il l’aimera toujours et ne veut que son bonheur. Cette femme qui sourit, baisse les yeux, lui dit qu’elle sait, qu’elle lui doit tant, mais qu’elle doit à présent prendre son indépendance, construire sa propre vie, sans lui. Cet homme qui acquiesce, les yeux embués de larmes, sachant que c’est la vie, la suite logique des choses. Qu’il faut bien la laisser partir, pour qu’elle s’épanouisse dans les bras d’un autre. Se persuadant qu’il est chanceux d’avoir pu profiter si longtemps d’elle, son petit trésor d’Afrique, son bijou, son amour.

Cet homme mûr et cette jeune femme, main dans la main, habitués aux regards de côtés, aux jugements silencieux, aux réflexions assassines, aux remarques maladroites. Cet homme et cette femme ne sont pas deux amants qui se quittent. Cet homme est son père. Cette femme est sa fille. Sa fille adoptée il y a 24 extraordinaires années. 24 ans à vivre sous le même toit. 24 ans qu’ils forment une famille. Jusqu’à ce jour, sur cette terrasse d’un café parisien où elle lui annonce qu’elle part fonder sa propre famille. »

J’ai écrit cette nouvelle il y a quelques années, lors d’un concours d’écriture dont le thème « Ce n’est pas du tout ce que vous croyez » m’avait beaucoup inspirée.  Elle  illustre pour moi  l’un des 4 Accords Toltèques de Don Miguel Ruiz : « Ne faites pas de supposition »

Combien de fois  nous faisons nous de fausses idées de scènes dont nous sommes témoins. Projetant nos propres croyance, nos propres sentiments, supposant sans savoir, imaginant au lieu de voir…

Cette nouvelle est une invitation à ne pas aller trop vite, à prendre du recul avant de juger de ce qu’on croit être la réalité…